Écoutez-moi bien, bande de snobs, je vais vous parler de Huang Jiannan, né en 1952, cet artiste chinois qui est fier de son titre d'”Artiste national de première classe” comme un paon dans un jardin de banlieue. Vous savez, celui qui jongle entre peinture à l’huile et encre traditionnelle comme un serveur maladroit dans un restaurant trois étoiles.
Commençons par sa prétendue fusion entre l’Est et l’Ouest, sa première thématique artistique qui me donne des migraines à chaque fois que j’y pense. Pendant neuf ans, il a parcouru 38 000 kilomètres à pied à travers la Chine, jouant les ermites modernes à la recherche d’une illumination artistique. On croirait presque voir Friedrich Nietzsche lors de ses promenades philosophiques dans les montagnes de Sils-Maria, sauf que notre ami chinois cherchait moins le surhomme qu’une technique pour faire grimper les prix de ses œuvres.
En réalité, ses compositions ressemblent plus à une dispute de couple où personne n’écoute l’autre. Les éléments traditionnels chinois – la verticalité, l’importance du vide, la fluidité de l’encre – se battent maladroitement avec des techniques occidentales comme l’empâtement et l’expressionnisme gestuel.
Ce qu’il fait n’est qu’un métissage artistique superficiel. Il surfe sur la vague de l’exotisme oriental comme un adolescent sur TikTok. Ses paysages sont censés incarner une synthèse entre la tradition picturale chinoise millénaire et les audaces de l’art contemporain occidental. En réalité, ils ressemblent plus à un mariage forcé entre deux traditions qui auraient préféré rester célibataires.
Michel Foucault parlait des “hétérotopies” comme des espaces qui reflètent et contestent simultanément les espaces réels. Les œuvres de Huang sont des hétérotopies involontaires : elles reflètent parfaitement la superficialité du marché de l’art contemporain tout en prétendant la transcender.
La manière dont il traite la tradition picturale chinoise est particulièrement problématique. Il la réduit à une série de tics stylistiques, vidés de leur substance philosophique et spirituelle. C’est comme réduire la calligraphie chinoise à une simple décoration murale ou voir un site sacré transformé en parc d’attractions. Il vide les techniques traditionnelles chinoises de leur signification spirituelle et philosophique pour n’en garder que l’aspect décoratif, un peu comme s’il utilisait un sutra bouddhiste comme papier peint dans un casino de Las Vegas.
Sa deuxième thématique, son obsession pour la nature et le paysage, mérite qu’on s’y attarde un peu. Après tout, il a passé neuf ans à arpenter la Chine à pied, comme un Caspar David Friedrich asiatique en quête du sublime. Ses paysages sont supposés capturer l’essence de la nature chinoise. En réalité, ils capturent surtout l’essence du marché de l’art contemporain : tape-à-l’œil, superficiellement impressionnant, mais fondamentalement vide. C’est comme si quelqu’un avait mis un paysage traditionnel chinois dans un mixeur avec un tableau d’action painting et avait appuyé sur le bouton “vendre aux enchères”.
Sa technique de paysage, qu’il prétend révolutionnaire, n’est qu’une tentative maladroite de fusionner l’expressionnisme abstrait américain avec la peinture traditionnelle chinoise. C’est comme si Jackson Pollock et Zhang Daqian avaient eu un enfant illégitime élevé par Willem de Kooning. Ses coups de pinceau “audacieux” ressemblent plus à des convulsions artistiques qu’à une véritable maîtrise technique. Même Clement Greenberg, dans ses moments les plus indulgents, aurait eu du mal à trouver une cohérence dans ce chaos pictural.
La façon dont il traite la couleur dans ses paysages est particulièrement révélatrice. Dans la tradition chinoise, l’encre noire était considérée comme contenant toutes les couleurs, une notion proche de ce que Kandinsky a développé dans son livre “Du Spirituel dans l’art”. Mais Huang utilise la couleur comme un enfant avec une nouvelle boîte de crayons : plus c’est vif, mieux c’est.
Ses paysages manquent cruellement de ce que les artistes chinois traditionnels appelaient le “yi”, l’intention ou l’esprit qui donne vie à une œuvre. Ils sont techniquement accomplis mais spirituellement morts, comme des corps embaumés dans un musée.
Gilles Deleuze parlait de la différence entre la “répétition stérile” et la “répétition créative”. Le travail de Huang appartient clairement à la première catégorie : une répétition mécanique de formules qui ont fait leurs preuves sur le marché.
Il y a quelque chose de profondément ironique dans son travail. Dans la tradition chinoise, le paysage était un moyen de méditation, une façon de se connecter avec le Tao, l’essence même de l’univers. Chez Huang, c’est devenu un exercice de style, un tour de passe-passe pictural qui impressionne les collectionneurs occidentaux en mal d’exotisme et les nouveaux riches chinois en quête de reconnaissance culturelle.
Theodor Adorno aurait probablement vu dans son travail l’exemple parfait de l’industrie culturelle à l’ère de la mondialisation. Ses œuvres sont produites comme des produits de luxe, calibrées pour un marché international qui veut du “contemporain” mais pas trop, de l'”oriental” mais pas trop non plus. C’est de l’art pour les halls d’hôtels cinq étoiles et les salles de conseil d’administration des multinationales. Huang sert à ses collectionneurs exactement ce qu’ils veulent, comme un chef qui adapte ses plats au palais occidental.
Il faut reconnaître qu’il maîtrise parfaitement les codes du marché de l’art contemporain. Ses œuvres cochent toutes les cases : technique mixte “innovante”, fusion culturelle “audacieuse”, prix astronomiques qui font saliver les investisseurs. Il a même réussi à se faire collectionner par la famille royale thaïlandaise, comme si cela donnait une quelconque légitimité artistique à son travail.
Son succès commercial est indéniable. Ses œuvres se vendent à des prix qui feraient rougir Van Gogh dans sa tombe. Mais comme le disait Ad Reinhardt, “L’art est l’art. Tout le reste est tout le reste.” Et le travail de Huang appartient définitivement à la catégorie du “reste”.
Il représente parfaitement ce que Fredric Jameson appelait le “pastiche” postmoderne : une imitation vide de styles passés, dépourvue de la parodie critique ou de l’innovation véritable.
Le plus triste est peut-être la façon dont son succès discrédite les véritables innovations dans l’art contemporain chinois. Pendant que le marché s’extasie sur ses mélanges calibrés, des artistes chinois plus authentiques comme Zhao Nengzhi peinent à se faire reconnaître, alors que celui-ci, encore méconnu en occident, est probablement un des plus grands peintres chinois de la nouvelle génération.
Huang Jiannan représente tout ce qui ne va pas dans le monde de l’art contemporain : la primauté du marketing sur la créativité, du commercial sur l’artistique, de l’apparence sur l’essence. C’est l’incarnation parfaite de ce que Theodor Adorno craignait : la transformation de l’art en simple divertissement pour les classes privilégiées.
Huang Jiannan n’est pas tant un artiste qu’un symptôme de notre époque : une époque où tout, même les traditions artistiques les plus sacrées, peut être transformé en produit de consommation pour les ultra-riches. Mais peut-être devrions-nous le remercier. En incarnant si parfaitement tout ce qui ne va pas dans le monde de l’art contemporain, il nous permet de mieux comprendre ce que devrait vraiment être l’art. Comme un contrexemple particulièrement éloquent, il nous montre ce qu’il ne faut pas faire si nous voulons préserver l’authenticité de l’expression artistique.