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Dimanche 16 Février

Kiefer : Le Titan qui transforme les ruines en or

Publié le : 20 Décembre 2024

Par : Hervé Lancelin

Catégorie : Critique d’art

Temps de lecture : 5 minutes

Kiefer ne se contente pas de peindre, il empile, colle, soude et brûle. Du plomb fondu ? Pourquoi pas ! De la paille calcinée ? Bien sûr ! Des morceaux de béton arrachés au sol ? Évidemment ! C’est comme si Heidegger avait rencontré un ferrailleur sous acide.

Écoutez-moi bien, bande de snobs, il y a des artistes qui vous font perdre votre temps, et il y en a d’autres qui vous font perdre la raison. Anselm Kiefer, né en 1945 à Donaueschingen, est de la seconde catégorie. C’est comme si cet homme avait décidé de faire de l’Histoire allemande sa propre thérapie par l’art, mais au lieu d’en faire une gentille séance sur le divan, il nous offre une déflagration monumentale qui vous explose à la gueule comme un bunker rempli de TNT.

Parlons d’abord de cette obsession quasi maladive pour le poids de la matière. Kiefer ne se contente pas de peindre, non, ce serait trop simple pour ce géant à la calvitie assumée qui déambule dans son atelier parisien à vélo comme un gamin dans un magasin de jouets apocalyptiques. Il empile, il colle, il soude, il brûle. Du plomb fondu ? Pourquoi pas ! De la paille calcinée ? Bien sûr ! Des morceaux de béton arrachés au sol ? Évidemment ! C’est comme si Heidegger avait rencontré un ferrailleur sous acide, et qu’ils avaient décidé ensemble de réinventer l’art contemporain.

Et ne me faites pas commencer sur ses forêts ! Ces foutues forêts allemandes qui hantent ses toiles comme les fantômes d’une mémoire collective traumatisée. Vous savez ce que Hegel disait ? “L’Histoire est le tribunal du monde.” Eh bien, Kiefer est à la fois le juge, le procureur et l’accusé dans ce tribunal où les arbres sont les témoins silencieux d’une culture qui s’est auto-immolée sur l’autel de sa propre folie. Chaque branche tordue, chaque tronc noirci est une métaphore qui vous gifle avec la force d’un Nietzsche en colère.

Pensez-vous vraiment que ces paysages dévastés, ces champs labourés jusqu’à l’épuisement où la terre elle-même semble hurler de douleur, sont là juste pour faire joli dans votre salon climatisé ? Non, mes petits agneaux de l’art contemporain, Kiefer fait quelque chose de bien plus radical : il transforme la peinture en philosophie matérielle. Walter Benjamin parlait de l’aura des œuvres d’art – ici, l’aura vous saisit à la gorge et refuse de vous lâcher.

Prenez ses livres en plomb. Pas ces machins numériques que vous feuilletez distraitement sur vos tablettes en sirotant votre café bio, mais des livres qui pèsent des tonnes, littéralement. C’est la connaissance qui devient matière, qui s’effondre sous son propre poids comme une civilisation trop lourde de ses certitudes. C’est Gutenberg qui rencontre Prométhée dans une décharge industrielle, et le résultat est à couper le souffle.

Et puis il y a cette façon qu’il a de jouer avec l’espace. Ses installations sont des cathédrales païennes où le sacré se mélange au profane dans une danse macabre qui aurait fait pleurer Baudelaire de jalousie. Quand vous entrez dans une de ses expositions, vous n’êtes plus simplement un spectateur, vous devenez un participant involontaire dans un rituel de la mémoire. C’est comme si chaque œuvre était une station dans un chemin de croix post-industriel.

La poussière, les cendres, la boue – ce n’est pas juste de la matière première pour lui, c’est un langage. Un langage qui parle de destruction et de renaissance, de trauma et de rédemption. Chaque tableau est une bataille entre la matière et le sens, entre le chaos et l’ordre. Et vous savez quoi ? Le chaos gagne souvent, mais d’une manière si magnifique que vous ne pouvez pas vous empêcher d’applaudir.

C’est là que réside le génie de Kiefer : il a compris que l’art n’est pas là pour nous réconforter avec de jolies images, mais pour nous confronter à ce que nous préférerions oublier. Il prend les mythes germaniques, la Kabbale, la poésie de Paul Celan, et les fait entrer en collision comme des particules dans un accélérateur spirituel. Le résultat ? Une explosion de sens qui vous laisse sonné mais étrangement plus lucide.

Alors oui, ses œuvres sont énormes, écrasantes, parfois même oppressantes. Mais n’est-ce pas exactement ce dont nous avons besoin à une époque où l’art se réduit trop souvent à des égoportraits numériques et des installations conceptuelles tellement légères qu’elles risquent de s’envoler au moindre souffle d’air conditionné ? Kiefer nous rappelle que l’art peut encore avoir du poids, au sens propre comme au figuré.

Et pour ceux qui pensent que tout cela est trop sérieux, trop lourd, trop allemand, je dis : réveillez-vous ! Dans un monde où la superficialité règne en maître, où l’histoire est réduite à des mèmes et la culture à des algorithmes, nous avons désespérément besoin d’artistes qui osent creuser profond, même si cela signifie se salir les mains avec la boue de l’histoire.

Kiefer est le dernier des titans, un artiste qui travaille à l’échelle des mythes tout en gardant les pieds fermement ancrés dans la réalité la plus brutale. Il transforme les traumatismes en or alchimique, les ruines en cathédrales, et nos peurs les plus profondes en expériences esthétiques transcendantes. C’est un géant qui fait de l’art comme d’autres font la guerre – avec une intensité absolue et sans compromis.

Et si vous trouvez que ses œuvres sont difficiles à vivre avec, eh bien, c’est peut-être le but. L’art de Kiefer n’est pas fait pour décorer vos murs, il est fait pour ébranler vos certitudes, pour vous faire douter de tout ce que vous pensiez savoir sur l’histoire, la mémoire et la possibilité même de la représentation après la catastrophe.

Alors la prochaine fois que vous vous retrouvez face à une de ses œuvres monumentales, ne cherchez pas la petite histoire ou l’anecdote rassurante. Laissez-vous submerger par cette marée de matière et de sens. Car Kiefer ne fait pas que de l’art, il recrée le monde à chaque fois, un monde où la beauté et l’horreur dansent ensemble dans une valse vertigineuse qui nous rappelle que nous sommes tous, en fin de compte, des survivants de l’histoire.

Pour finir, sachez que si vous ne comprenez pas l’importance capitale de cet artiste, c’est peut-être que vous faites partie de ces âmes délicates qui préfèrent leurs expositions comme leurs cafés – légers et sans surprise. Mais l’art de Kiefer est comme un coup de tonnerre dans un ciel d’été : il vous réveille, vous secoue, et vous rappelle que la beauté la plus profonde naît souvent des cicatrices les plus douloureuses.

Référence(s)

Anselm KIEFER (1945)
Prénom : Anselm
Nom de famille : KIEFER
Genre : Homme
Nationalité(s) :

  • Allemagne

Âge : 80 ans (2025)

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