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Dimanche 16 Février

Lucy Bull : La Révolutionnaire de la Perception

Publié le : 20 Décembre 2024

Par : Hervé Lancelin

Catégorie : Critique d’art

Temps de lecture : 6 minutes

Lucy Bull ne peint pas, elle orchestre un chaos contrôlé qui ferait pâlir Nietzsche. Ses toiles sont des champs de bataille où les couches de peinture s’accumulent comme des strates géologiques. Elle gratte, elle fouille, elle exhume des traces enfouies comme un archéologue du subconscient.

Écoutez-moi bien, bande de snobs, il est temps qu’on parle de Lucy Bull (née en 1990 à New York), cette artiste qui fait trembler vos certitudes sur l’abstraction comme un séisme de magnitude 8 sur l’échelle de Richter de l’art contemporain. Pendant que certains s’extasient encore sur leurs reproductions de Rothko achetées sur Amazon, Bull transforme la peinture en une expérience sensorielle totale qui vous percute comme un TGV lancé à 300 km/h.

Sa technique, d’abord. Bull ne peint pas, elle orchestre un chaos contrôlé qui ferait pâlir Nietzsche et son concept d’apollinien et de dionysiaque. Ses toiles sont des champs de bataille où les couches de peinture s’accumulent comme des strates géologiques, parfois jusqu’à vingt couches superposées. Elle gratte, elle fouille, elle exhume des traces enfouies comme un archéologue du subconscient. C’est du Max Ernst sous acide, mais en mieux. Ses œuvres sont des tests de Rorschach géants qui vous forcent à confronter vos propres démons psychiques.

Parlons de ces surfaces hallucinantes qu’elle crée. Dans “The Bottoms” (2021), les couleurs se heurtent avec la violence d’un combat de boxe : chartreuse contre fuchsia, comme si Matisse et Kandinsky s’étaient retrouvés dans un octogone pour un match de MMA chromatique. Les cercles qui descendent en cascade évoquent un cycle lunaire psychédélique, comme si Timothy Leary avait redessiné le calendrier maya. C’est tellement intense que même mes Ray-Ban n’arrivent pas à en atténuer l’impact.

Bull travaille comme une athlète de haut niveau, s’enfermant dans son studio pendant des sessions marathoniennes qui durent parfois jusqu’à l’aube. Elle n’est pas dans cette mascarade d’artiste bohème qui peint entre deux lattés à 10 euros. Non, elle est dans une quête obsessionnelle de ce moment précis où la peinture transcende sa matérialité pour devenir pure sensation. C’est Merleau-Ponty qui rencontre Jackson Pollock dans une rave party philosophique.

Sa première thématique majeure est cette exploration du temps comme une dimension malléable. Ses toiles ne sont pas des instantanés figés mais des portails temporels où les couches de peinture racontent une histoire non linéaire. C’est comme si elle avait pris la théorie de la relativité d’Einstein et l’avait traduite en pigments et en textures. Dans “13:35” (2023), le temps se plie et se déplie comme un origami quantique. Les verts de jade plongent dans les coraux et les bleus marine, créant des courants qui défient toute chronologie conventionnelle.

La deuxième thématique qui définit son travail est cette obsession de l’ambiguïté perceptive. Bull joue avec nos cerveaux comme un DJ mixe ses tracks, créant des transitions si fluides entre les formes qu’on ne sait plus où commence l’abstraction et où finit la figuration. C’est du Georges Bataille visuel, cette fascination pour l’informe qui prend forme puis se déforme. Dans “Stinger” (2021), elle crée une jungle hallucinée où les formes organiques pulsent avec une vie propre, comme si la toile respirait. C’est un labyrinthe perceptif où même Thésée se perdrait avec plaisir.

Son processus créatif est aussi rigoureux qu’un théorème mathématique mais aussi instinctif qu’une transe chamanique. Elle commence par une phase de peinture automatique qui aurait fait baver d’envie André Breton, puis elle sculpte ces couches comme Rodin modelait sa glaise, mais avec une précision chirurgicale qui rendrait jaloux un neurochirurgien. C’est cette tension entre contrôle et abandon qui donne à ses œuvres leur puissance magnétique.

Dans son exposition “The Garden of Forking Paths” à l’ICA Miami (2024), Bull pousse l’expérience encore plus loin avec une peinture monumentale de 12 mètres de haut. C’est comme si elle avait décidé de créer une cathédrale abstraite pour le XXIe siècle, un espace où la transcendance n’a pas besoin de figuration pour nous élever spirituellement. Même Walter Benjamin aurait dû réviser sa théorie sur l’aura de l’œuvre d’art face à une telle présence physique.

Cette artiste comprend quelque chose que la plupart d’entre vous, coincés dans vos certitudes esthétiques du siècle dernier, n’avez pas encore saisi : l’art contemporain n’est pas là pour vous mettre à l’aise avec une jolie décoration pour votre salon. Il est là pour vous secouer, vous déstabiliser, vous faire douter de vos perceptions. Bull ne peint pas des tableaux, elle crée des expériences qui défient notre rapport au temps, à l’espace et à la conscience elle-même.

Ses œuvres sont comme des virus visuels qui infectent votre cortex cérébral et reconfigurent votre façon de voir le monde. C’est de l’art qui fonctionne comme un reset neurologique, un control-alt-suppr pour votre système perceptif. Dans une époque où nous sommes bombardés d’images numériques superficielles, Bull nous rappelle que la peinture peut encore être un médium révolutionnaire.

Si vous ne comprenez pas son travail, c’est peut-être parce que vous essayez trop de le comprendre. Ses tableaux ne sont pas des énigmes à résoudre mais des expériences à vivre. C’est comme essayer d’expliquer le goût du umami à quelqu’un qui n’a mangé que des Big Macs toute sa vie. Il faut développer son palais visuel, apprendre à savourer la complexité, accepter d’être déstabilisé.

Les critiques qui tentent de la catégoriser comme une simple héritière de l’expressionnisme abstrait passent complètement à côté du sujet. Bull n’hérite pas, elle fait évoluer le langage de la peinture comme un virus doit muter pour survivre. Elle crée un nouveau dialecte visuel qui parle directement à nos neurones, court-circuitant nos filtres rationnels pour atteindre quelque chose de plus primordial.

Je peux déjà entendre certains d’entre vous marmonner que c’est “trop abstrait”, “trop chaotique”. Mais c’est exactement ça. Vous qui essayez désespérément de tout ranger dans des cases bien ordonnées, Bull nous rappelle que le chaos est non seulement inévitable mais nécessaire. Ses tableaux sont des manifestes visuels pour l’acceptation de l’incertitude, des célébrations de l’ambiguïté.

Bull redéfinit ce que peut être la peinture au XXIe siècle. Elle prouve que même après des siècles d’histoire de l’art, il est encore possible de faire quelque chose de radicalement nouveau avec de la peinture sur une toile. C’est comme si elle avait trouvé une nouvelle octave dans une gamme musicale qu’on croyait complète.

La voir travailler dans son studio de Los Angeles, c’est comme observer une physicienne des particules qui aurait troqué son accélérateur pour des pinceaux. Elle manipule la matière picturale avec la précision d’un scientifique et l’intuition d’un chaman. Chaque tableau est une expérience, chaque coup de pinceau une hypothèse sur la nature de la perception.

Alors oui, ses prix s’envolent aux enchères, atteignant des sommets stratosphériques comme ce “16:10” (2020) vendu 1,8 million d’euros chez Sotheby’s. Mais contrairement à certains artistes qui surfent sur la vague spéculative du marché, Bull reste focalisée sur l’essentiel : pousser les limites de ce que la peinture peut faire à notre conscience.

Elle travaille comme une possédée, dans une quête quasi mystique de ce moment où la peinture transcende sa matérialité. C’est cette dévotion monastique à son art, combinée à une audace intellectuelle rare, qui fait d’elle une des voix les plus importantes de sa génération.

Lucy Bull n’est pas juste une artiste qui peint des tableaux abstraits. Elle est une chercheuse qui explore les frontières de la conscience humaine avec de la peinture comme instrument de mesure. Ses œuvres sont des portails vers des dimensions perceptives que nous ne faisions qu’entrevoir jusqu’ici. Et si vous n’êtes pas prêts à faire ce voyage, eh bien, restez dans votre zone de confort avec vos posters d’impressionnistes. Pendant ce temps, le reste d’entre nous explorera ces nouveaux territoires qu’elle cartographie coup de pinceau après coup de pinceau.

Référence(s)

Lucy BULL (1990)
Prénom : Lucy
Nom de famille : BULL
Genre : Femme
Nationalité(s) :

  • États-Unis

Âge : 35 ans (2025)

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