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Jeudi 6 Février

Mao Xuhui : Les ciseaux qui découpent le pouvoir

Écoutez-moi bien, bande de snobs. Vous pensez tout savoir sur l’art contemporain chinois parce que vous avez lu deux articles sur internet et que vous avez acheté un catalogue de vente aux enchères chez Christie’s ? Laissez-moi vous parler de Mao Xuhui (né en 1956 à Chongqing), un artiste qui n’a pas besoin de votre validation occidentale pour exister.

Pendant que certains s’extasient devant des œuvres numériques aussi vides que leurs portefeuilles, Mao Xuhui, lui, a passé quatre décennies à disséquer l’autorité et la nature avec la précision d’un chirurgien et la rage d’un Nietzsche sous acide. Ne vous attendez pas à des petits paysages bucoliques pour décorer vos salons bourgeois.

Commençons par sa série “Scissors” et “Parents”, où il transforme des ciseaux et des figures parentales en métaphores tranchantes du pouvoir. Ces œuvres ne sont pas là pour faire joli au-dessus de votre canapé en cuir italien. Mao Xuhui prend le concept d’autorité et le découpe en morceaux, comme Lucio Fontana éventrait ses toiles, mais avec une dimension politique qui ferait trembler Foucault dans sa tombe. Ces ciseaux, qui apparaissent obsessionnellement dans son travail depuis les années 90, ne sont pas de simples outils de couture. Ils sont les instruments d’une dissection sociale, les scalpels qui mettent à nu les mécanismes du pouvoir dans la société chinoise post-Tiananmen.

Quand il peint “Parents assis sur des chaises” en 1988, il ne fait pas dans le portrait de famille dominical. Il crée une allégorie du pouvoir qui fait paraître le portrait du Pape Innocent X de Velázquez aussi inoffensif qu’une publicité pour du dentifrice. La figure parentale devient un véhicule pour explorer ce que Deleuze appelait les “sociétés de contrôle”. Les chaises ne sont plus de simples meubles mais des trônes dystopiques, des sièges de pouvoir qui rappellent les mécanismes de domination analysés par Walter Benjamin dans ses “Thèses sur le concept d’histoire”.

Mais attendez, ce n’est pas tout. Parlons de sa série “Guishan”, où il transforme un paysage du Yunnan en champ de bataille existentiel. Contrairement à ces artistes qui peignent la nature comme une carte postale pour touristes, Mao Xuhui y voit un territoire spirituel où se joue le drame de la modernisation chinoise. Cette terre rouge de Guishan n’est pas qu’un joli décor – c’est un manifeste contre l’industrialisation sauvage qui ravage la Chine, une méditation sur ce que Heidegger appelait le “déracinement de l’être”.

Dans “Guishan Dreams – Camouflage”, il superpose ses fameux ciseaux camouflés sur le paysage comme un commentaire cinglant sur la violence faite à la nature. C’est Caspar David Friedrich qui rencontre Joseph Beuys dans un karaoké post-apocalyptique. La composition en diagonale crée une tension qui fait paraître les abstractions de Kandinsky aussi calmes qu’un étang par temps plat.

Mao Xuhui réside transforme des objets quotidiens en bombes philosophiques à retardement. Ses ciseaux ne coupent pas que du papier – ils tranchent dans le vif de notre confort intellectuel. Sa montagne Guishan n’est pas qu’un relief géographique – c’est un monument à la résistance contre l’uniformisation culturelle. Comme l’écrivait Theodor Adorno : “L’art ne reflète pas la société, il l’accuse.” Et Mao Xuhui est un procureur implacable.

Ce qui est fascinant, c’est sa façon de naviguer entre expressionnisme et symbolisme sans jamais tomber dans le piège de l’art politique didactique. Contrairement à ces artistes qui croient qu’il suffit de peindre un poing levé pour faire de l’art engagé, Mao Xuhui comprend que la véritable subversion réside dans la forme autant que dans le contenu. Ses coups de pinceau violents sur les “Parents” rappellent la gestuelle de Willem de Kooning, mais avec une dimension psychologique qui fait penser à Louise Bourgeois disséquant ses traumas familiaux.

Dans les années 80, pendant que l’Occident se gargarisait de néo-expressionnisme, Mao Xuhui créait un langage visuel qui transcendait les étiquettes faciles. Son groupe de recherche artistique du Sud-Ouest ne cherchait pas à imiter les tendances occidentales, mais à forger une nouvelle voie qui intégrait l’héritage culturel chinois tout en le confrontant aux défis de la modernité. C’était Kafka rencontrant le Tao dans un rêve fiévreux de Francis Bacon.

Sa technique picturale elle-même est un acte de résistance. Quand le “Political Pop” dominait la scène chinoise des années 90 avec son esthétique lisse et commerciale, Mao Xuhui doublait la mise sur la matérialité de la peinture. Ses surfaces tourmentées sont comme des champs de bataille où se joue le conflit entre tradition et modernité, entre individu et autorité. Chaque coup de pinceau est un acte de défi contre l’homogénéisation culturelle.

Les dernières œuvres de sa série “Guishan” sont particulièrement poignantes. Le paysage y devient une toile où se superposent les couches d’histoire, de mémoire et de perte. C’est comme si Giorgio Morandi avait décidé de peindre non plus des natures mortes mais la mort de la nature elle-même. La simplicité apparente de ces compositions cache une complexité qui ferait pleurer Roland Barthes sur l’impossibilité de la représentation.

Mao Xuhui n’est pas un artiste qui cherche à plaire. Il ne fait pas de l’art pour vos investissements spéculatifs ou vos délires de collectionneur compulsif. Son œuvre est un miroir tendu à une société en pleine mutation, où le pouvoir change de forme mais pas de nature. Comme l’écrivait Walter Benjamin, “Il n’est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie.” Les ciseaux de Mao Xuhui découpent précisément cette dialectique.

Et vous savez quoi ? Pendant que certains s’extasient devant des installations interactives qui n’interagissent qu’avec leur ego, Mao Xuhui continue de peindre avec l’urgence d’un homme qui sait que l’art peut encore changer quelque chose. Non pas en servant de décoration pour vos dîners mondains, mais en ouvrant des brèches dans la muraille de notre complaisance collective.

Son art nous rappelle que la peinture n’est pas morte – elle est juste devenue plus dangereuse que jamais. Dans un monde où tout est numérisé, quantifié, monétisé, le geste pictural de Mao Xuhui reste un acte de résistance pure. Ses ciseaux ne découpent pas que la toile – ils taillent en pièces nos certitudes sur ce que l’art contemporain chinois devrait être.

Alors la prochaine fois que vous penserez tout savoir sur l’art contemporain chinois, regardez d’abord une œuvre de Mao Xuhui. Et si vous ne ressentez pas le vertige existentiel qu’elle provoque, c’est peut-être que vous êtes déjà trop anesthésiés par le brouhaha du marché de l’art pour comprendre qu’un véritable artiste ne cherche pas à vous réconforter, mais à vous réveiller.

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