Écoutez-moi bien, bande de snobs, voici venir le moment de vous parler de Nicolas Party, né en 1980 à Lausanne. Vous savez, cet artiste suisse qui fait tourner la tête du monde de l’art avec ses pastels aux couleurs électriques comme un néon dans la nuit genevoise. Les galeries s’arrachent ses œuvres comme des adolescents devant un nouveau smartphone, et les musées se bousculent pour exposer ses créations monumentales. Mais ne nous arrêtons pas à cette effervescence marchande qui sent bon le capitalisme triomphant. Allons plutôt explorer ce qui fait vraiment la singularité de cet artiste qui transforme chaque espace d’exposition en théâtre onirique.
Parlons d’abord de sa relation quasi obsessionnelle avec le pastel, ce médium que l’histoire de l’art a trop longtemps relégué au rang de technique mineure. Party l’a découvert presque par accident, en contemplant un portrait de Picasso. Cette rencontre fortuite s’est transformée en une véritable révolution artistique personnelle. Cette histoire d’amour avec le pastel n’est pas sans rappeler celle de Rosalba Carriera, cette artiste vénitienne du XVIIIe siècle qui avait déjà compris tout le potentiel de ce medium. Dans les années 1700, Carriera a révolutionné l’usage du pastel, le transformant en un art majeur, prisé par toutes les cours européennes. Party reprend ce flambeau avec une audace contemporaine, comme si Carriera lui avait transmis le secret de la luminosité à travers les siècles.
Cette filiation avec Carriera nous révèle quelque chose de fondamental dans l’approche de Party. Elle nous rappelle que l’histoire de l’art est une longue conversation à travers le temps, où les artistes se répondent comme des échos dans une cathédrale. Party comprend parfaitement cette dimension temporelle de l’art, lui qui n’hésite pas à confronter ses œuvres avec celles de maîtres anciens dans ses expositions. Cette approche fait singulièrement penser à la conception du temps cyclique développée par Friedrich Nietzsche dans son concept d’éternel retour. Tout comme le philosophe allemand voyait dans la répétition éternelle une source de puissance créatrice, Party trouve dans la réinterprétation constante des genres classiques une force d’innovation étonnante.
Ses portraits aux visages monochromes, ses natures mortes épurées et ses paysages synthétiques ne sont pas de simples exercices de style. Ils constituent une réflexion profonde sur la nature même de la représentation picturale. Quand Party peint un arbre, ce n’est pas tant l’arbre qui l’intéresse que l’idée même de l’arbre, sa forme archétypale. Il rejoint en cela la théorie platonicienne des Idées, où le monde sensible n’est qu’un reflet imparfait du monde des essences. Mais Party va plus loin : il transforme ces archétypes en visions pop, comme si Platon avait collaboré avec Walt Disney.
Les installations immersives de Party redéfinissent notre rapport à l’espace d’exposition. Ces environnements totaux où les murs deviennent des toiles géantes transforment radicalement notre expérience de l’art. Party ne se contente pas de peindre des tableaux, il crée des univers complets où l’architecture elle-même devient partie intégrante de l’œuvre. Ces espaces transformés rappellent les chambres des merveilles de la Renaissance, ces cabinets de curiosités où l’art et la nature se confondaient dans un même élan d’émerveillement. Mais là où les princes collectionneurs cherchaient à posséder le monde en miniature, Party cherche à créer des mondes parallèles, des univers alternatifs où les lois de la perspective et de la couleur obéissent à une logique nouvelle.
La couleur chez Party vaut le détour. Elle n’est pas un simple attribut de la forme, elle devient la forme elle-même. Ses roses incandescents, ses bleus profonds comme l’océan et ses verts acidulés ne décrivent pas le monde, ils le réinventent. Cette approche de la couleur rappelle la théorie des couleurs de Johann Wolfgang von Goethe, qui voyait dans chaque teinte une manifestation particulière de la lumière divine. Party sécularise cette vision mystique pour en faire un outil de transformation du réel. Ses couleurs ne cherchent pas à imiter la nature, elles créent leur propre nature.
Son travail récent sur les dinosaures et les forêts en flammes révèle une nouvelle dimension de sa pratique. Ces œuvres ne sont plus seulement des exercices formels sur la couleur et la composition, elles deviennent des méditations sur notre époque troublée, sur l’extinction possible de notre espèce et la fragilité de notre existence sur Terre. Les dinosaures de Party ne sont pas ceux des livres de paléontologie, ce sont des fantômes qui nous rappellent notre propre mortalité collective. En les représentant dans des formats intimistes, Party crée un contraste saisissant entre leur taille historique et leur représentation actuelle, comme pour souligner la distance qui nous sépare de ces créatures disparues.
Les arches qui structurent souvent ses installations ne sont pas de simples éléments décoratifs. Elles fonctionnent comme des portails entre différents états de conscience, différentes temporalités. Party les décrit lui-même comme des “câlins venant d’en haut”, une image qui traduit bien la dimension protectrice et englobante de son art. Ces arches nous rappellent que tout art véritable est une forme de passage, une transformation de notre perception du monde. Elles créent des seuils physiques et métaphoriques que le spectateur doit franchir, comme autant d’initiations à une nouvelle manière de voir.
Dans ses portraits, les visages aux couleurs irréelles semblent nous fixer depuis un autre monde, comme les masques d’une civilisation qui n’existe pas encore. Ces visages sans âge ni genre défini questionnent notre conception même de l’identité. Ils nous rappellent que tout portrait est aussi un autoportrait, que toute représentation de l’autre est aussi une projection de soi. Les yeux, traités comme des cibles blanches entre des paupières qui évoquent des vulves, créent un malaise subtil, une tension entre le familier et l’étrange qui caractérise toute son œuvre.
La pratique de Party s’inscrit dans une longue tradition tout en la subvertissant joyeusement. Il prend les genres classiques de la peinture – portrait, paysage, nature morte – et les fait entrer dans une dimension nouvelle, où le passé et le présent se télescopent dans une explosion de couleurs. C’est un art qui connaît son histoire mais refuse d’en être prisonnier, qui utilise la tradition comme un tremplin vers l’inconnu.
Le succès commercial de Party pourrait faire craindre une certaine complaisance. Mais son travail continue d’évoluer, de se confronter à de nouveaux défis. Ses récentes explorations sur le thème de l’extinction et de la catastrophe écologique montrent un artiste conscient des enjeux de son temps, capable d’utiliser son vocabulaire visuel unique pour aborder les questions les plus urgentes de notre époque.
Son exposition “L’heure mauve” au Musée des beaux-arts de Montréal a marqué un tournant dans sa pratique. En créant un dialogue entre ses œuvres et les collections du musée, Party a montré sa capacité à transcender les époques et les styles. Les espaces qu’il a créés fonctionnent comme des machines à remonter le temps, où les œuvres du passé et du présent se côtoient dans une conversation silencieuse mais éloquente.
La relation de Party avec l’architecture doit être évoquée. Ses interventions murales ne sont pas de simples décorations, elles transforment radicalement notre perception de l’espace. En utilisant des couleurs audacieuses et des formes architecturales comme les arches, il crée des environnements qui remettent en question nos habitudes perceptives. Ces interventions rappellent les fresques de la Renaissance, mais avec une sensibilité résolument contemporaine.
L’utilisation que fait Party des références historiques est particulièrement sophistiquée. Il ne s’agit pas simplement de citations ou d’appropriations, mais d’une véritable digestion et réinvention de l’histoire de l’art. Ses natures mortes, par exemple, dialoguent aussi bien avec Giorgio Morandi qu’avec le pop art, créant un pont improbable entre différentes époques et sensibilités artistiques.
La dimension théâtrale de son travail est également remarquable. Chaque exposition est pensée comme une mise en scène totale, où les œuvres jouent des rôles précis dans une narration visuelle complexe. Cette approche scénographique transforme le spectateur en acteur d’une expérience immersive qui dépasse largement le cadre traditionnel de l’exposition d’art.
Son utilisation du pastel, medium historiquement associé à l’art féminin et malheureusement souvent considéré comme mineur, devient entre ses mains un outil de transformation radicale. Party exploite la matérialité particulière du pastel, sa capacité à créer des surfaces à la fois mates et lumineuses, pour produire des effets visuels saisissants. Cette réhabilitation du pastel s’inscrit dans une réflexion plus large sur les hiérarchies artistiques et leur pertinence aujourd’hui.
Malgré la gravité de certains de ses sujets récents, l’art de Party conserve toujours une dimension ludique, une joie pure dans l’acte de peindre qui traverse toute son œuvre. C’est peut-être là que réside son plus grand talent : sa capacité à créer un art qui peut être à la fois profondément sérieux et délicieusement accessible, qui peut parler de la fin du monde avec les couleurs d’une fête foraine.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : Nicolas Party crée un art qui nous permet de regarder en face les questions les plus graves de notre temps tout en conservant une forme d’émerveillement enfantin. Ses couleurs vibrantes, ses compositions audacieuses, ses espaces transformés nous rappellent que l’art peut encore nous surprendre, nous émouvoir et nous faire réfléchir, même dans un monde qui semble parfois avoir perdu toute capacité d’enchantement.