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Dimanche 16 Février

William Monk : Le Passeur des mondes invisibles

Publié le : 23 Janvier 2025

Par : Hervé Lancelin

Catégorie : Critique d’art

Temps de lecture : 6 minutes

Dans ses toiles grand format qui semblent avoir absorbé toute l’essence psychédélique des années 60, William Monk nous propulse dans un univers où la réalité se désagrège comme un sucre dans une tasse de thé anglais trop chaud.

Écoutez-moi bien, bande de snobs, il est grand temps de parler de William Monk, né en 1977 à Kingston upon Thames au Royaume-Uni. Voici un artiste qui refuse obstinément de se laisser enfermer dans les carcans confortables de notre petit monde de l’art contemporain, préférant naviguer dans les eaux troubles entre figuration et abstraction avec une insolence qui ferait rougir un Rothko.

Dans ses toiles grand format qui semblent avoir absorbé toute l’essence psychédélique des années 60, Monk nous propulse dans un univers où la réalité se désagrège comme un sucre dans une tasse de thé anglais trop chaud. Ses œuvres, particulièrement celles de la série “The Ferryman” (2019-2022), nous confrontent à une méditation visuelle sur le passage – pas celui du temps, non, mais celui entre les mondes, entre les états de conscience. Ces figures énigmatiques qui émergent de ses paysages colorés comme des spectres bienveillants ne sont pas sans rappeler le concept du “Dasein” de Heidegger, cet “être-là” qui se trouve perpétuellement en situation de dialogue avec son environnement, cherchant à comprendre sa place dans l’existence.

Ses paysages ont la particularité troublante de n’exister nulle part tout en semblant étrangement familiers. C’est précisément là que réside le génie de Monk : il nous fait accepter l’impossible comme une évidence. Ses horizons incertains, ses ciels embrasés de couleurs improbables, tout cela nous ramène à la phénoménologie de Merleau-Ponty, pour qui la perception n’était pas une simple réception passive du monde extérieur, mais une danse complexe entre le sujet percevant et l’objet perçu. Quand Monk peint une montagne dans sa série “Smoke Ring Mountain”, ce n’est pas tant la montagne qui nous intéresse que notre façon de la percevoir, de la ressentir, de la vivre.

Le plus intéressant chez Monk, c’est qu’il crée des œuvres qui fonctionnent comme des mantras visuels. Prenez ses toiles circulaires de la série “Nova” (2021-2022) : ces cercles qui semblent pulser d’une énergie intérieure nous hypnotisent littéralement, nous forçant à ralentir notre regard habitué au scroll frénétique des réseaux sociaux. Ces œuvres sont des méditations sur la lenteur dans un monde qui court à sa perte.

Mais derrière cette apparente simplicité se cache une complexité diabolique. Monk joue avec nos perceptions comme un chat avec une pelote de laine, déroulant petit à petit les fils de notre compréhension conventionnelle de l’espace et du temps. Ses peintures sont des portails, des seuils vers d’autres dimensions de la conscience. Et c’est là que la philosophie de Henri Bergson entre en jeu, particulièrement son concept de “durée pure”, cette expérience subjective du temps qui échappe à toute mesure mathématique. Dans les œuvres de Monk, le temps n’est pas une ligne droite mais une spirale qui nous aspire vers l’intérieur.

Il y a quelque chose de profondément subversif dans la manière dont Monk utilise la couleur. Ses palettes sont à la fois séduisantes et dérangeantes, comme si elles cherchaient à nous mettre mal à l’aise dans notre propre perception. Les roses pâles côtoient des bleus électriques, les oranges terreux dialoguent avec des violets profonds, créant des vibrations chromatiques qui résonnent quelque part entre notre rétine et notre cortex cérébral. C’est précisément ce que Bergson appelait la “donnée immédiate de la conscience” – cette expérience pure avant que notre esprit rationnel ne vienne la cataloguer et l’étiqueter.

Sa série “The Ferryman” est particulièrement révélatrice de cette approche. Ces figures mystérieuses qui se dressent au centre de ses compositions ne sont pas de simples silhouettes, mais des présences qui interrogent notre rapport à l’altérité. Elles sont là sans être là, comme des fantômes bienveillants qui nous guideraient vers une compréhension plus profonde de notre propre existence. On pourrait y voir une illustration parfaite de ce que Heidegger nommait l'”être-pour-la-mort”, cette conscience aiguë de notre finitude qui, paradoxalement, donne sens à notre vie.

Les installations de Monk sont tout aussi importantes que ses peintures individuelles. La façon dont il agence ses œuvres dans l’espace transforme les galeries en véritables chambres de résonance où chaque toile dialogue avec les autres, créant une symphonie visuelle qui dépasse la somme de ses parties. C’est particulièrement évident dans des expositions comme “Psychopomp” au Long Museum de Shanghai (2024), où ses toiles circulaires suspendues créent une chorégraphie spatiale qui nous fait repenser notre rapport à la gravité elle-même.

Ce qui est remarquable chez Monk, c’est qu’il maintient une cohérence artistique tout en évoluant constamment. Ses séries se développent comme des variations musicales sur un thème, chaque nouvelle itération apportant une nuance, une profondeur supplémentaire à l’ensemble. C’est un peu comme si chaque tableau était une note dans une partition plus vaste, une partition qui explore les limites de notre perception et de notre compréhension du monde.

La manière dont Monk traite la surface de ses toiles est tout aussi révélatrice. Ses coups de pinceau, tantôt délicats comme une caresse, tantôt énergiques comme une gifle, créent des textures qui invitent le regard à se perdre dans leurs méandres. C’est dans ces détails que se révèle toute la profondeur de sa réflexion sur la nature même de la perception. Comme le soulignait Merleau-Ponty, notre perception du monde n’est pas une simple réception passive d’informations, mais une interaction active et constante avec notre environnement.

Les paysages de Monk ne sont pas des représentations de lieux existants, mais plutôt des états d’âme matérialisés sur la toile. Prenez sa série “Smoke Ring Mountain” : ces montagnes brumeuses qui semblent se dissoudre dans l’air ne sont pas tant des montagnes que des métaphores de notre propre quête de transcendance. C’est comme si l’artiste nous invitait à grimper ces sommets imaginaires pour atteindre un état de conscience supérieur, une compréhension plus profonde de notre place dans l’univers.

L’influence de la musique et du cinéma dans son travail est indéniable, mais Monk ne se contente pas de simples références. Il transmute ces influences en quelque chose de profondément personnel et universel à la fois. Ses compositions ont souvent la structure rythmique d’une partition musicale, avec leurs répétitions, leurs variations, leurs crescendos et leurs silences. C’est cette musicalité visuelle qui donne à ses œuvres leur pouvoir hypnotique.

La lumière joue également un rôle majeur dans son travail. Qu’elle soit éclatante comme dans ses soleils circulaires ou diffuse comme dans ses paysages crépusculaires, elle semble toujours émaner de l’intérieur des toiles plutôt que de les éclairer de l’extérieur. C’est comme si Monk avait trouvé un moyen de peindre la lumière elle-même, non pas comme un phénomène physique, mais comme une manifestation de la conscience.

Ce qui rend le travail de Monk si pertinent aujourd’hui, c’est qu’il crée des espaces de contemplation dans un monde qui en manque cruellement. Ses œuvres nous obligent à ralentir, à regarder vraiment, à nous engager dans une forme de méditation active qui est à la fois un défi et une récompense. Dans une époque obsédée par la vitesse et l’instantanéité, Monk nous rappelle que certaines vérités ne se révèlent qu’à ceux qui prennent le temps de les chercher.

Son art est une invitation à l’exploration intérieure, un rappel que la réalité n’est pas toujours ce qu’elle semble être à première vue. À travers ses toiles, Monk nous guide vers une compréhension plus profonde non seulement de l’art, mais de notre propre expérience de l’existence. Et n’est-ce pas là le rôle le plus noble que puisse jouer un artiste ?

Si vous pensez avoir tout compris de William Monk, c’est que vous n’avez rien compris du tout. Son œuvre est un défi permanent à nos certitudes, une invitation constante à remettre en question nos présupposés sur l’art et la perception. Dans un monde artistique souvent prisonnier de ses propres conventions, Monk reste un électron libre, un explorateur infatigable des frontières entre le visible et l’invisible, entre le connu et l’inconnu. Et c’est précisément ce qui fait de lui l’un des artistes les plus stimulants de sa génération.

Référence(s)

William MONK (1977)
Prénom : William
Nom de famille : MONK
Genre : Homme
Nationalité(s) :

  • Royaume-Uni

Âge : 48 ans (2025)

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