Écoutez-moi bien, bande de snobs, l’art contemporain vient de trouver sa voix la plus singulière en la personne d’Allison Katz. Cette artiste de Montréal, installée à Londres depuis ses études à Columbia, bouleverse aujourd’hui les codes de la peinture avec une intelligence provocante qui fait de chaque toile un territoire d’exploration où se rencontrent l’intime et l’universel, le trivial et le sublime.
Face à la production picturale actuelle, souvent prisonnière d’un sentimentalisme réactionnaire ou d’une perfection névrotique, Allison Katz propose une alternative radicale. Son travail opère comme un réveil nécessaire, une gifle salutaire administrée à un milieu artistique souvent trop sûr de ses certitudes. L’exposition “Artery” au Camden Art Centre en 2022 constituait à ce titre un manifeste : trente oeuvres qui transformaient l’espace de la galerie en laboratoire de la signification, où chaque peinture dialoguait avec les autres selon une logique poétique qui échappait aux catégories traditionnelles.
La signature comme territoire mouvant
L’approche de Katz questionne frontalement la notion même de “style signature” qui hante encore le marché de l’art contemporain. Là où d’autres artistes cultivent une cohérence stylistique rassurante, elle pratique une forme de schizophrénie contrôlée, passant du trompe-l’oeil hyperréaliste aux compositions les plus caricaturales. Cette versatilité n’est pas gratuite : elle interroge les mécanismes mêmes de reconnaissance artistique, cette économie de l’identifiable qui réduit trop souvent l’art à du branding.
Dans Akgraph (Tobias + Angel) (2021), les lettres M, A, S et K composent un visage calligraphique au-dessus de la représentation fantomatique de Tobie et l’Ange de Verrocchio. Ms. Allison Sarah Katz devient littéralement MASK, révélant que l’identité artistique procède autant du masque que de la révélation. Cette oeuvre synthétise parfaitement l’approche de l’artiste : l’autobiographique se mêle à l’art historique, la signature devient motif, l’intime s’universalise.
Le jeu avec son propre nom traverse l’ensemble de son oeuvre comme un fil rouge obsessionnel. AK devient AKA (“alias”), Allison se transforme en “All Is On”, révélant cette fascination primordiale pour l’acte de nommer que revendique l’artiste. Cette pratique de l’anagramme et du calembour n’est pas anecdotique : elle révèle une compréhension profonde des mécanismes linguistiques qui gouvernent notre rapport au monde.
L’utilisation récurrente de grains de riz collés sur la surface picturale constitue une autre signature, paradoxale celle-ci. Ces éléments texturels brisent l’autonomie du tableau illusionniste, rappelant constamment la matérialité de l’objet peint. Dans The Other Side (2021), ces grains parsèment la représentation d’un coq jaune en mouvement, créant un effet de saupoudrage qui évoque autant la nourriture pour volaille que les paillettes d’un spectacle de cabaret.
Littérature et stratégies narratives
L’influence de Virginia Woolf imprègne profondément la pratique de Katz, qui cite régulièrement cette définition woolfienne de la poésie : “une voix qui répond à une voix” [1]. Cette conception dialogique de la création artistique structure l’ensemble de son approche. Comme l’écrivaine moderniste, Katz refuse la pureté du monologue et conçoit chaque oeuvre comme une conversation engagée avec l’histoire de l’art, la culture populaire et sa propre biographie.
Cette dimension littéraire se manifeste dans sa façon de “peindre comme elle écrit”, selon ses propres mots, en construisant autour de citations visuelles. Ses peintures fonctionnent comme des romans par fragments, où chaque motif récurrent, coqs, choux, bouches et ascenseurs, développe un vocabulaire personnel qui s’enrichit de toile en toile. Cette accumulation sémantique rappelle les techniques narratives de Gertrude Stein ou de James Joyce, où la répétition crée progressivement le sens.
L’exposition “Artery” illustrait parfaitement cette approche littéraire de l’espace. Les cinq peintures de bouches, présentées dans une formation en chevron sur des murs autoporteurs, transformaient la galerie en un dispositif narratif complexe. Chaque “perspective épiglottale”, pour reprendre l’expression savoureuse de Brian Dillon, encadrait des scènes disparates, un coq ornemental, un chat aux reflets digitaux et l’artiste elle-même dans une publicité Miu Miu, créant un effet de narration fragmentaire où le sens émergeait des interstices.
Cette stratégie narrative trouve son apogée dans l’utilisation systématique de l’autodérision et de l’anti-humour. The Cockfather (2021) présente un coquetier en forme de coq, fièrement dressé dans une caverne sombre, condensant en une image l’absurdité de l’ego artistique masculin. Le titre, évoquant autant les restaurants hipsters que Francis Ford Coppola, révèle cette capacité à transformer le trivial en épique, caractéristique de la littérature contemporaine la plus inventive.
La série des Cabbage (and Philip) (2013-2020) illustre également cette dimension littéraire. Chaque chou, peint avec un soin maniaque, côtoie la silhouette de Philip, le compagnon de l’artiste. Ces “natures mortes-portraits” détournent les genres picturaux traditionnels tout en créant une mythologie personnelle où l’intime devient universel. L’anecdotique se transforme en archétypal, révélant cette “impossibilité d’être digne de peinture” que revendique Katz et qui constitue paradoxalement la source de sa force expressive.
L’influence de Clarice Lispector, autre référence littéraire de l’artiste, transparaît dans cette approche énigmatique du quotidien. Cette citation de l’écrivaine brésilienne que Katz affectionne, “Je ne l’ai pas déchiffrée. Mais elle ne m’a pas déchiffrée non plus”, pourrait servir d’épigraphe à l’ensemble de son oeuvre. Comme le Sphinx de Lispector, les peintures de Katz résistent à l’interprétation univoque tout en invitant constamment à la recherche du sens.
La dimension temporelle, primordiale chez Woolf, trouve chez Katz une traduction plastique originale. Ses “pigments fugitifs”, référence aux expérimentations de Joshua Reynolds avec des couleurs instables, interrogent la permanence de l’art. Cette fascination pour la dégradation contrôlée révèle une conception du temps pictural qui dépasse la simple représentation pour toucher à l’ontologie même de l’image.
Psychanalyse et construction subjective
L’oeuvre de Katz dialogue de manière saisissante avec les théories de Lacan du stade du miroir et de la construction subjective. Ses multiples autoportraits, jamais frontaux, toujours obliques, révèlent une compréhension intuitive des mécanismes d’identification décrits par Jacques Lacan. L’ego, selon le psychanalyste français, se constitue par identification à une image extérieure, processus fondamentalement aliénant qui structure néanmoins l’accès à la subjectivité [2].
Cette aliénation constitutive trouve chez Katz une traduction plastique particulièrement éloquente dans ses peintures “bouches”. Ces perspectives internes, inspirées d’André Derain, transforment l’organe de la parole en cadre de vision. Dans M.A.S.K. (2021), l’artiste se peint depuis l’intérieur de sa propre bouche, créant un dispositif où le sujet regardant et le sujet regardé se confondent dans une mise en abîme vertigineuse. Cette inversion radicale de la perspective traditionnelle évoque directement les analyses de Lacan sur la constitution du moi par le regard de l’Autre.
La récurrence du motif de l’ascenseur dans son travail est particulièrement intéressante dans cette perspective psychanalytique. Elevator III (Camden Art Centre) (2021), ce trompe-l’oeil saisissant qui ouvre l’exposition “Artery”, fonctionne comme une métaphore parfaite du processus identificatoire. L’illusion parfaite invite le spectateur à pénétrer dans un espace qui n’existe que par la représentation, mimant ainsi l’expérience primordiale du stade du miroir où l’enfant s’identifie à une image qu’il prend pour la réalité de son être.
Cette dimension psychanalytique se révèle également dans le traitement de la fragmentation corporelle, thème central chez Lacan. Les sculptures céramiques de nez, ces “Nose/Ass” qui condensent en un même objet l’organe de la respiration et celui de l’excrétion, évoquent directement le “corps morcelé” que décrit la psychanalyse. Ces oeuvres matérialisent cette angoisse de fragmentation qui précède l’unification imaginaire du moi, révélant les soubassements pulsionnels de toute construction identitaire.
Le rapport à l’Autre, concept central de la théorie de Lacan, structure également l’approche curatoriale de Katz. Son exposition “In the House of the Trembling Eye” à l’Aspen Art Museum en 2024 illustrait parfaitement cette dimension. En mêlant ses propres oeuvres à des fragments de fresques de Pompéi et à des pièces issues de collections privées locales, elle créait un dialogue temporel qui révélait comment le sujet contemporain se constitue par identification à des images venues d’ailleurs et d’autrefois.
Cette pratique curatoriale prolonge logiquement sa pratique picturale. Comme elle “peint en citant”, elle expose en créant des constellations de sens qui dépassent la simple juxtaposition. L’organisation de l’espace selon le plan de la domus romaine révélait une compréhension sophistiquée des mécanismes projets et identificatoires qui gouvernent notre rapport aux images. Chaque salle, atrium, triclinium et tablinum, fonctionnait comme un théâtre de la subjectivité où les oeuvres dialoguaient selon une logique inconsciente.
L’usage récurrent de la signature comme élément visuel, déplacée de son emplacement traditionnel vers le centre de l’image, matérialise cette problématique de l’identification. Dans plusieurs oeuvres, les lettres de son nom composent littéralement un visage, révélant que l’identité procède autant de l’inscription symbolique que de la reconnaissance spéculaire. Cette pratique évoque directement les analyses de Lacan sur l’aliénation symbolique qui préside à toute constitution subjective.
Vers une poétique de l’indétermination
L’originalité de Katz réside dans sa capacité à maintenir l’énigme tout en créant du sens. Ses oeuvres résistent à l’interprétation univoque sans jamais sombrer dans l’hermétisme gratuit. Cette tension productive rappelle les meilleures réussites de l’art conceptuel, mais enrichies d’une sensualité picturale qui fait souvent défaut aux pratiques purement intellectuelles.
Son traitement de l’art historique illustre parfaitement cette approche. Plutôt que de citer directement, elle procède par allusions, superpositions et détournements subtils. Posterchild (2021), cette réinterprétation d’une affiche du métro londonien des années 1930, mêle références personnelles et culturelles selon une logique associative qui évoque autant Freud que Warburg. L’affiche originale vantant les charmes de Hampstead devient support d’une mythologie personnelle où se télescopent enfance à Montréal, présent londonien et art italien du Quattrocento.
Cette poétique de l’indétermination trouve sa plus belle expression dans la série des bouches. Ces cadrages impossibles, qui transforment l’organe de la parole en fenêtre sur le monde, créent un trouble perceptuel permanent. Nous voyons par la bouche, nous parlons par les yeux, les sens se confondent dans une synesthésie contrôlée qui révèle la complexité de nos rapports sensoriels au réel.
L’utilisation de matériaux “fugitifs”, ces pigments instables qui évoluent avec le temps, participe de cette esthétique de l’indétermination. Comme les couleurs de Reynolds qui finissent par blanchir, les oeuvres de Katz intègrent leur propre devenir, refusant la fixité rassurante de l’art traditionnel. Cette temporalité ouverte transforme chaque peinture en processus plutôt qu’en objet fini.
La récurrence de certains motifs, coqs, choux, nez et ascenseurs, crée un vocabulaire personnel qui évolue constamment. Chaque réapparition enrichit le motif de nouvelles significations, créant un système sémiotique en perpétuelle expansion. Le coq de The Other Side dialogue avec celui de The Cockfather, les choux de Philip conversent avec ceux des expositions précédentes, créant un réseau de correspondances qui structure l’ensemble de l’oeuvre.
Cette approche révèle une compréhension profonde des mécanismes de la mémoire culturelle. Comme les symboles archétypaux de Jung, les motifs de Katz accumulent les strates de sens tout en conservant leur capacité d’évocation immédiate. Cette économie symbolique personnelle dialogue avec les grands systèmes iconographiques de l’art occidental sans jamais s’y réduire.
L’humour, omniprésent, fonctionne comme un dissolvant des certitudes. Ces jeux de mots visuels, ces détournements iconographiques, ces clins d’oeil culturels créent une distance critique qui empêche toute sacralisation. L’art de Katz est sérieux sans se prendre au sérieux, profond sans gravité, complexe sans complication.
L’exposition comme oeuvre totale
La dimension architecturale et scénographique du travail de Katz est aussi intéressante. Ses expositions ne se contentent pas de présenter des oeuvres : elles créent des environnements signifiants où l’espace lui-même devient porteur de sens. Cette approche révèle une conception élargie de la peinture qui dépasse le cadre traditionnel du tableau pour embrasser l’ensemble de l’expérience esthétique.
L’accrochage d'”Artery” illustrait parfaitement cette dimension. Les murs autoporteurs de la deuxième salle, construits à la largeur exacte des toiles, transformaient l’espace en labyrinthe optique où le spectateur découvrait alternativement les peintures de bouches et les choux de Philip. Cette chorégraphie spatiale révélait des correspondances insoupçonnées entre les oeuvres, créant un métadiscours sur les relations entre visible et caché, recto et verso, public et privé.
Cette conception scénographique trouve son apogée dans “In the House of the Trembling Eye”. En transposant la structure de la domus pompéienne dans l’espace muséal contemporain, Katz créait un dispositif temporel vertigineux où antiquité et contemporanéité se répondaient. Cette archéologie du présent révélait la permanence de certaines structures symboliques à travers les millénaires, questionnant nos présupposés sur la modernité artistique.
L’utilisation récurrente d’affiches comme éléments de l’exposition révèle une réflexion sophistiquée sur les temporalités de l’art. Ces annonces, conçues pour chaque exposition, fonctionnent comme des oeuvres autonomes qui prolongent l’expérience au-delà de sa durée officielle. Exposées dans l’espace de la galere puis conservées comme objets de collection, elles questionnent les frontières entre art et communication, entre oeuvre et documentation.
Cette pratique de l’affiche révèle également une conscience aiguë des mécanismes de promotion artistique. En créant ses propres supports de communication, Katz reprend le contrôle d’une dimension souvent négligée par les artistes. Ces affiches, qui déclinent son vocabulaire visuel selon les codes du design graphique, révèlent les interconnexions entre art et industrie culturelle.
Une contemporanéité critique
Dans le contexte artistique actuel, marqué par un retour problématique à la figuration traditionnelle et une standardisation marchande croissante, le travail de Katz propose une voie alternative. Son refus des facilités pittoresques comme des provocations gratuites révèle une maturité artistique rare. Elle prouve qu’il est possible d’être accessible sans être complaisant, complexe sans être hermétique, contemporain sans être opportuniste.
Cette position critique se manifeste particulièrement dans son rapport à l’industrie de l’art. Son apparition dans une campagne publicitaire Miu Miu, qu’elle transforme ensuite en matériau pictural dans M.A.S.K., révèle une capacité à jouer avec les codes du spectacle tout en conservant une distance critique. Cette stratégie d’infiltration, qui consiste à accepter le jeu pour mieux le détourner, évoque les meilleures réussites de l’art critique des années 1960.
Son succès international, participation à la Biennale de Venise 2022, expositions dans les institutions les plus prestigieuses et représentation par des galeries internationales, ne l’a pas détournée de ses questionnements fondamentaux. Cette résistance aux sirènes du marché révèle une intégrité artistique qui force l’admiration dans un milieu souvent corrompu par les logiques commerciales.
L’évolution récente de son travail, marquée par une complexification des dispositifs d’exposition et un élargissement de sa palette conceptuelle, révèle un artiste au sommet de sa maturité. Allison Katz a atteint cette zone rare où virtuosité technique et profondeur conceptuelle se nourrissent mutuellement pour créer un langage artistique véritablement personnel.
Sa capacité à renouveler constamment son approche tout en conservant une cohérence profonde révèle une compréhension exceptionnelle des enjeux contemporains de la peinture. Dans un monde saturé d’images, elle parvient à créer des objets visuels qui arrêtent le regard et nourrissent la réflexion. Cette capacité d’arrêt, de suspension du flux visuel contemporain, constitue peut-être sa plus grande réussite.
L’intelligence de Katz réside dans sa capacité à transformer les contraintes en opportunités créatives. Les limites du médium pictural deviennent prétextes à invention, les codes de l’exposition traditionnelle sont détournés pour créer de nouvelles expériences, les références culturelles sont recyclées pour générer du sens inédit. Cette alchimie transformatrice révèle un tempérament d’artiste authentique, capable de régénérer perpétuellement son approche sans jamais perdre son fil conducteur.
L’artère et le coeur
Face à l’oeuvre d’Allison Katz, nous mesurons la distance qui sépare l’art véritable de ses multiples contrefaçons contemporaines. Là où d’autres se contentent d’illustrer leurs intentions, elle invente un langage. Là où d’autres répètent des formules éprouvées, elle risque l’inconnu. Là où d’autres cherchent à séduire, elle choisit de questionner.
Le titre “Artery” résonne aujourd’hui comme une métaphore parfaite de son approche artistique. L’artère irrigue, nourrit, maintient en vie. Elle relie le coeur aux extrémités, assure la circulation vitale, permet l’échange et le renouvellement. Cette fonction circulatoire, Katz l’assume pleinement dans le paysage artistique contemporain. Ses oeuvres font circuler le sens entre passé et présent, intime et universel, trivial et sublime.
Cette capacité de circulation révèle une conception profondément généreuse de l’art. Refusant autant l’élitisme hautain que la démagogie populiste, Allison Katz crée des oeuvres qui parlent simultanément à l’amateur éclairé et au néophyte curieux. Cette accessibilité n’est jamais facilité : elle résulte d’une maîtrise technique et conceptuelle qui permet de traiter les sujets les plus complexes avec une apparente simplicité.
Son influence sur la jeune génération d’artistes commence déjà à se faire sentir. Cette approche hybride, qui mêle virtuosité picturale et sophistication conceptuelle, autobiographie et réflexion théorique, humour et profondeur, ouvre des voies nouvelles pour une peinture contemporaine trop souvent enfermée dans des alternative réductrices. Elle prouve qu’il est possible d’être à la fois ancré dans la tradition et résolument contemporain, personnel et universel, accessible et exigeant.
L’oeuvre de Katz révèle également l’importance déterminante de l’intelligence dans la création artistique contemporaine. Face à un marché de l’art souvent dominé par les effets de mode et les stratégies marketing, elle rappelle que l’art véritable naît de la pensée autant que de la sensibilité. Cette dimension intellectuelle, loin de dessécher l’émotion, la nourrit et l’enrichit, créant des oeuvres qui résistent à l’usure du temps et à la saturation visuelle.
Dans un monde où les images prolifèrent sans créer de sens, où la communication remplace trop souvent la communion, où l’immédiateté efface la durée, l’art d’Allison Katz nous rappelle les vertus de la lenteur, de la réflexion, de l’approfondissement progressif. Ses peintures demandent du temps, temps de regarder, temps de comprendre et temps de laisser agir leurs sortilèges subtils. Cette temporalité spécifique, irréductible à l’immédiateté contemporaine, constitue peut-être sa plus précieuse contribution.
L’artiste canadienne nous offre finalement bien plus qu’un corpus d’oeuvres remarquables : elle nous propose une leçon de liberté créatrice. Sa capacité à inventer perpétuellement de nouvelles solutions plastiques, à renouveler constamment son vocabulaire formel, à surprendre tout en conservant sa cohérence profonde, révèle les infinies possibilités qui s’offrent encore à la peinture contemporaine. Dans un contexte souvent marqué par le pessimisme et la répétition, cette énergie créatrice constitue un stimulant précieux.
Car c’est bien d’énergie qu’il s’agit. L’énergie de qui refuse les sentiers battus, l’énergie de qui transforme les contraintes en libertés, l’énergie de qui continue à croire aux pouvoirs spécifiques de la peinture dans un monde saturé d’images numériques. Cette énergie, Allison Katz la transmet généreusement à qui sait la recevoir, créant autour de son travail cette communauté d’esprits libres qui constitue le véritable public de l’art contemporain.
L’oeuvre d’Allison Katz nous rappelle ainsi que l’art, à son meilleur niveau, demeure cette “transaction secrète” dont parlait Virginia Woolf, cette “voix qui répond à une voix” qui traverse les siècles et unit les consciences. Dans le brouhaha visuel contemporain, elle parvient à faire entendre cette voix singulière qui transforme quiconque sait l’écouter. Cette capacité de transformation, individuelle et collective, constitue peut-être la plus belle promesse de son art : celle d’un monde où l’intelligence et la sensibilité, la tradition et l’innovation, l’intime et l’universel pourraient enfin dialoguer harmonieusement.
- Virginia Woolf, Orlando, 1928. Cette citation, régulièrement reprise par Katz, provient du passage : “Was not writing poetry a secret transaction, a voice answering a voice?”
- Jacques Lacan, “Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je”, Écrits, Seuil, 1966.
















