Écoutez-moi bien, bande de snobs : voici venu le temps de parler sérieusement de Rafa Macarrón, cet homme de 44 ans qui, depuis son atelier madrilène face aux collines du Pardo, bouleverse notre compréhension de la peinture contemporaine avec une audace qui ferait pâlir les plus téméraires d’entre nous. Loin des sentiers battus de l’académisme, ce physiothérapeute devenu peintre autodidacte nous offre un univers pictural d’une richesse inouïe, peuplé de créatures élancées aux membres étirés comme des rêves d’enfant, baignant dans des paysages surréalistes aux couleurs saturées.
L’oeuvre de Macarrón s’épanouit dans cette tension permanente entre l’anatomie rigoureuse qu’il maîtrise parfaitement grâce à sa formation médicale et la déformation expressive qu’il impose à ses personnages. Ces figures hybrides, aux visages déformés et aux extrémités filiformes, évoluent dans des compositions qui oscillent entre portraits solitaires d’une mélancolie saisissante et panoramas grouillants où des dizaines de protagonistes semblent participer simultanément à de multiples scènes de la vie quotidienne. Cette dualité constante entre solitude et communauté, entre précision anatomique et distorsion créatrice, constitue l’une des forces majeures de son travail.
L’héritage des confessions : Une spiritualité picturale
L’univers de Rafa Macarrón puise profondément dans la tradition littéraire mystique, notamment dans les Confessions de Saint Augustin [1], texte fondateur que l’artiste revendique comme lecture obligatoire et source d’inspiration majeure. Cette filiation n’est pas anodine car elle révèle une approche de la création qui dépasse largement le simple acte pictural pour s’élever vers une quête spirituelle authentique. Comme Augustin scrutait les méandres de son âme pour y déceler les traces du divin, Macarrón explore les recoins de la condition humaine à travers ses personnages difformes mais touchants.
La dimension confessionnelle de son art se manifeste dans cette capacité unique à transformer l’observation du quotidien en méditation profonde sur l’existence. Ses créatures, nées de son imagination mais nourries de son expérience personnelle, portent en elles cette introspection augustinienne qui cherche à saisir l’essence de l’être au-delà des apparences. L’artiste madrilène partage avec l’évêque d’Hippone cette conviction que la vérité se révèle dans l’examen minutieux de soi-même et de son rapport au monde. Ainsi, quand Macarrón peint directement sur la toile, sans esquisse préparatoire, dans un élan spontané qu’il compare lui-même à un état de transe créatrice, il reproduit cette démarche augustinienne de l’abandon confiant à une force supérieure qui guide la main et l’esprit.
Cette dimension mystique de son travail se retrouve dans sa pratique méditative de la peinture, héritée de ses années de cyclisme professionnel où il découvrait déjà cette connexion avec l’absolu dont parlent les grands mystiques. Ses lectures de philosophie, de poésie et de littérature mystique nourrissent directement sa création, lui permettant d’atteindre cet état de détachement nécessaire à la liberté créatrice absolue. Les personnages de Macarrón, avec leur tendresse malgré leurs déformations, incarnent cette vision augustinienne de l’humanité : imparfaite mais rachetée par l’amour, grotesque mais sublimée par la grâce.
La spontanéité de son geste pictural, cette capacité à peindre huit ou dix heures d’affilée sans percevoir le passage du temps, évoque directement l’expérience mystique de l’extase temporelle décrite par Augustin. Dans cette communion avec l’acte créateur, Macarrón rejoint la tradition des artistes spirituels qui voient dans leur art un moyen de dialogue avec le divin. Ses toiles deviennent ainsi de véritables confessions picturales, témoignages d’une âme en quête de sens et de beauté dans un monde souvent chaotique. Cette approche confessionnelle explique aussi pourquoi ses oeuvres touchent si profondément le spectateur : elles portent en elles cette authenticité de la confession sincère, cette vérité nue de l’homme face à lui-même et à ses interrogations existentielles.
L’espace architectural de l’âme
L’influence de l’architecture sur l’oeuvre de Rafa Macarrón ne saurait être sous-estimée, car elle structure fondamentalement sa vision artistique et sa compréhension de l’espace pictural. Fils d’architectes, l’artiste a grandi dans un environnement où la conception spatiale et la maîtrise des volumes constituaient le quotidien familial. Cette formation précoce se traduit aujourd’hui par une approche singulière de la composition, où chaque élément trouve sa place selon une logique architecturale rigoureuse, même dans l’apparent chaos de ses panoramas les plus denses.
L’atelier de Macarrón lui-même, décrit comme un monde équilibré où tout semble être exactement où il doit être, révèle cette sensibilité architecturale profonde. Cet espace, qu’il faut franchir par une porte-peinture pour accéder à un univers différent, fonctionne comme une métaphore de son approche créatrice : l’art comme architecture de l’imaginaire, construction patiente d’un monde alternatif régi par ses propres lois spatiales. Les voyages de son enfance avec ses parents architectes, ces pérégrinations à travers les foires d’art et les musées du monde entier, ont nourri sa compréhension de l’espace comme lieu de révélation esthétique.
Cette formation architecturale se manifeste particulièrement dans sa gestion des rapports entre bidimensionnalité et tridimensionnalité. Ses personnages aux membres étirés semblent vouloir s’extraire de la surface picturale, créant cette tension spatiale caractéristique qui rapproche le spectateur de l’univers représenté. Cette manipulation de la perspective et des volumes révèle une maîtrise architecturale de l’espace qui va bien au-delà de la simple représentation picturale. Macarrón construit littéralement ses compositions comme un architecte édifie un bâtiment, en pensant la circulation du regard, les points de fuite, les volumes et les vides.
Ses fonds plats, loin d’être une facilité stylistique, participent de cette logique architecturale : ils créent un espace neutre qui permet aux figures de déployer leur présence sculpturale. Cette économie de moyens révèle une compréhension profonde des rapports entre figure et architecture, entre habitant et habitat. Ses personnages évoluent dans des espaces épurés qui évoquent parfois des intérieurs d’ascenseur ou des salles d’attente, ces non-lieux de la modernité architecturale où l’humanité se révèle dans sa solitude fondamentale.
L’usage innovant qu’il fait de matériaux industriels comme l’aluminium et le PVC témoigne également de cette sensibilité architecturale contemporaine. Ces supports, habituellement réservés à la construction, deviennent sous son pinceau des surfaces d’expression artistique, créant un dialogue inédit entre l’art et l’architecture. Cette transgression des frontières matérielles s’inscrit dans une démarche architecturale moderne qui refuse la hiérarchie traditionnelle des matériaux nobles et vulgaires.
Ses sculptures récentes, notamment ses chiens en bronze, confirment cette évolution vers une pratique architecturale de l’art. Ces oeuvres tridimensionnelles avec lesquelles le spectateur peut interagir transforment l’espace d’exposition en véritable architecture de l’expérience esthétique. Macarrón ne se contente plus de peindre l’espace, il le sculpte, le modèle, l’habite. Cette progression naturelle de la peinture vers la sculpture révèle une logique architecturale qui était déjà présente dans ses premières toiles.
La matière et l’esprit : Une alchimie contemporaine
La richesse technique de Rafa Macarrón mérite qu’on s’y attarde car elle révèle une approche véritablement révolutionnaire de la création artistique. Son arsenal de matériaux, acrylique, gouache, huile, crayons, marqueurs, aérosols, aluminium, PVC, témoigne d’une liberté totale face aux conventions académiques. Cette diversité n’est pas gratuite : chaque matériau correspond à un état d’esprit particulier, à une nécessité expressive spécifique qui enrichit la palette émotionnelle de l’oeuvre.
L’aérosol apporte la modernité et le dynamisme, les crayons et marqueurs créent la trame et les textures, les cires, acryliques et gouaches offrent des transparences nuancées, tandis que l’huile complexifie l’ensemble. Cette approche polymorphe révèle un artiste qui refuse les limitations, un créateur qui puise dans tous les registres techniques pour servir sa vision. Ses toiles deviennent ainsi de véritables laboratoires d’expérimentation où se mélangent traditions séculaires et innovations contemporaines.
La spontanéité de son geste, cette capacité à peindre directement sur la toile sans esquisse préparatoire, s’appuie paradoxalement sur une maîtrise technique absolue. Macarrón peut se permettre cette liberté apparente parce qu’il possède parfaitement son métier, parce que ses années de formation en anatomie lui ont donné une connaissance intime de la structure corporelle qu’il peut ensuite déformer en toute connaissance de cause. Cette dialectique entre contrôle et lâcher-prise constitue l’un des aspects les plus passionnants de son travail.
L’humanité transfigurée
Les personnages de Macarrón habitent un monde à la fois familier et étrange, quotidien et fantastique. Ces créatures aux proportions impossibles, aux yeux globuleux et aux membres étirés, portent en elles toute la complexité de la condition humaine contemporaine. Elles évoquent notre solitude dans les grands ensembles urbains, notre difficulté à communiquer malgré la proximité physique, notre quête de sens dans un monde de plus en plus mécanisé.
Mais loin de tomber dans le pessimisme facile, Macarrón insuffle à ses créations une tendresse infinie qui rachète toutes les difformités. Ses personnages, malgré leurs aspects parfois inquiétants, dégagent une humanité profonde qui nous touche directement. Cette capacité à révéler la beauté dans la déformation, la grâce dans l’imperfection, place l’artiste dans la lignée des grands maîtres qui ont su transformer la réalité brute en vision poétique.
L’influence de Picasso, revendiquée par l’artiste depuis sa visite enfantine au musée parisien, se ressent dans cette liberté prise avec la représentation anatomique traditionnelle. Mais là où le maître de Malaga révolutionnait la peinture par la géométrisation cubiste, Macarrón propose une voie différente : celle de l’expressionnisme tendre, de la déformation empathique qui révèle l’âme plutôt qu’elle ne la dissèque.
Une reconnaissance internationale méritée
Le parcours de Rafa Macarrón force l’admiration par sa rapidité et sa cohérence. Lauréat du prix BMW de peinture en 2011, exposé dans les plus grandes foires internationales de Mexico à Miami en passant par Bâle, l’artiste a su conquérir un public mondial sans jamais trahir sa vision originale. Ses expositions individuelles, du CAC de Malaga à la Fondation La Nave Salinas d’Ibiza, témoignent d’une reconnaissance institutionnelle qui valide une démarche artistique authentique.
Sa collaboration avec des galeries prestigieuses comme Nino Mier à Los Angeles ou Allouche Gallery confirme cette ascension fulgurante d’un artiste qui, en moins de deux décennies, a su imposer un style reconnaissable entre mille. Ses oeuvres, désormais présentes dans des collections privées et institutionnelles de premier plan, participent à redéfinir les contours de la peinture contemporaine européenne.
L’avenir d’une vision
Aujourd’hui, à 44 ans, Rafa Macarrón se trouve à un tournant de sa carrière. Ses incursions récentes dans la sculpture, notamment avec ses chiens en bronze, ouvrent de nouvelles perspectives à son art. Ces oeuvres tridimensionnelles, qui invitent à l’interaction physique avec le spectateur, prolongent naturellement sa réflexion sur les rapports entre humanité et espace, entre solitude et communauté.
L’artiste madrilène nous propose une voie originale pour appréhender les défis esthétiques du XXIe siècle. Ni nostalgique d’un passé révolu, ni aveuglément tourné vers un futur technologique, il puise dans les ressources profondes de la tradition picturale pour inventer un langage plastique résolument contemporain. Ses créatures hybrides, tendres et déformées, nous parlent de notre époque avec une acuité rare, révélant les failles et les beautés d’une humanité en perpétuelle mutation.
Dans un monde de l’art souvent dominé par les effets de mode et les spéculations mercantiles, Rafa Macarrón représente cette authenticité rare que seuls possèdent les vrais créateurs. Son travail, enraciné dans une spiritualité profonde et nourri d’influences multiples, de Saint Augustin [1] à l’École de Paris en passant par Dubuffet et Miró, constitue un apport essentiel à la peinture contemporaine. Il nous rappelle que l’art, au-delà de ses aspects décoratifs ou spéculatifs, demeure avant tout un moyen privilégié d’explorer les mystères de la condition humaine et de révéler la beauté cachée du monde.
- Saint Augustin, Confessions, IVe siècle – Ouvrage cité par l’artiste comme lecture fondamentale dans l’entretien avec Carolina Verd, 2018
















