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Chantal Joffe : La vérité crue sur toile

Publié le : 28 Décembre 2024

Par : Hervé Lancelin

Catégorie : Critique d’art

Temps de lecture : 6 minutes

Chantal Joffe n’est pas votre artiste de salon qui peint de jolis portraits. Cette Américaine devenue Britannique crée des oeuvres qui vous gifleront avec la force d’une vérité que vous préféreriez ignorer. Ses toiles monumentales sont comme des miroirs déformants de notre société.

Écoutez-moi bien, bande de snobs, Chantal Joffe (née en 1969) n’est pas votre artiste de salon qui peint de jolis portraits pour décorer vos intérieurs aseptisés. Cette Américaine devenue Britannique, installée à Londres, crée des oeuvres qui vous gifleront avec la force d’une vérité que vous préféreriez ignorer. Ses toiles monumentales, certaines atteignant les 3 mètres de haut, sont comme des miroirs déformants de notre société, reflétant une réalité que la plupart d’entre nous sommes trop lâches pour affronter.

Première chose à comprendre : Joffe n’est pas là pour satisfaire votre appétit pour l’art “agréable”. Elle peint des femmes, oui, mais pas comme ces portraits léchés qui ornent vos magazines de mode. Ses coups de pinceau sont brutaux, sans compromis, comme si elle arrachait la chair même de ses sujets pour exposer leur âme. C’est du Lucian Freud qui aurait fusionné avec Alice Neel, mais en plus radical, en plus viscéral. Ses portraits de femmes sont des actes de résistance contre ce que John Berger appelait le “male gaze”, vous savez, cette façon dont l’histoire de l’art a toujours représenté les femmes comme des objets de désir masculin.

Quand Joffe peint une femme, que ce soit sa mère Daryll, sa fille Esme, ou elle-même, elle pulvérise les conventions avec la précision d’un sniper. Ses figures féminines ne posent pas, elles existent. Elles ne cherchent pas à plaire, elles affirment leur présence. C’est comme si Simone de Beauvoir avait troqué sa plume contre un pinceau : chaque tableau est une déclaration d’indépendance, un manifeste qui proclame “on ne naît pas femme, on le devient”.

Prenez ses portraits de mère et fille. C’est là que Joffe devient vraiment intéressante, mes chers amis snobs. Elle a peint sa mère pendant plus de trente ans, créant une chronique visuelle du vieillissement qui fait paraître vos selfies Instagram aussi profonds qu’une flaque d’eau. Ces portraits sont comme des chapitres d’un roman de Virginia Woolf : chaque coup de pinceau raconte l’histoire d’une relation en constante évolution, marquée par le temps qui passe inexorablement.

Et parlons de ses autoportraits ! En 2018, elle s’est peinte chaque jour pendant un an. Pas ces autoportraits narcissiques que vous postez sur les réseaux sociaux avec quinze filtres différents. Non, ces oeuvres sont comme des confessions brutales, des journaux intimes exposés aux yeux de tous. C’est du Robert Lowell en peinture, de la poésie confessionnelle traduite en huile sur toile. Chaque toile est un voyage dans les profondeurs de la psyché, une exploration sans concession de ce que signifie être une femme artiste dans un monde qui préfère encore ses créatrices sages et dociles.

Tous ces autoportraits de 2018 forment un corpus particulièrement puissant. Se regarder sans pitié pendant un an, documentant chaque humeur, chaque changement, ça c’est du grand art. C’est comme si Roland Barthes avait décidé de faire sa “Chambre claire” en peinture, mais en plus viscéral, en plus urgent.

La manière dont elle traite la chair est révolutionnaire. Elle ne cherche pas à flatter, elle cherche à révéler. Ses corps sont des territoires de vérité, pas des fantasmes manufacturés. Quand elle peint une adolescente en mini-jupe, ce n’est pas pour satisfaire le regard masculin, c’est pour capturer cette période précise de la vie où l’on oscille entre vulnérabilité et défi. C’est Julia Kristeva qui rencontrerait Jenny Saville dans un combat de boxe pictural.

Sa technique ? Aussi brutale qu’efficace. Elle peint avec une urgence qui fait paraître vos artistes préférés aussi dynamiques qu’une nature morte. Ses coups de pinceau sont comme des coups de couteau, chaque trait est une décision, une affirmation. Elle utilise la peinture comme Sylvia Plath utilisait les mots : pour disséquer la réalité jusqu’à l’os.

Ses grandes toiles vous confrontent avec une intensité qui fait de vos installations vidéo préférées des berceuses pour enfants. Quand vous êtes devant un Joffe de 3 mètres de haut, vous ne pouvez pas vous échapper. Elle vous force à regarder, à voir vraiment. C’est comme être coincé dans une conversation avec quelqu’un qui refuse de faire semblant, qui insiste pour dire la vérité, toute la vérité.

Et ne me lancez pas sur sa façon de traiter la couleur. Elle utilise les roses et les bleus comme des armes, transformant des tons qui pourraient être doux en quelque chose de presque violent. C’est Rothko qui aurait décidé de peindre des gens, mais en gardant toute l’intensité émotionnelle de ses champs de couleur.

Son travail sur les adolescentes est particulièrement révélateur. Elle capture cette période charnière avec une acuité qui fait mal aux dents. Ces jeunes filles ne sont pas les créatures éthérées que l’histoire de l’art nous a habitués à voir. Elles sont réelles, maladroites, puissantes dans leur vulnérabilité même. C’est comme si Louise Bourgeois avait décidé de faire de la peinture figurative.

Ce qui est fascinant dans son travail, c’est sa façon de traiter le temps. Elle ne peint pas des moments, elle peint des durées, des relations qui évoluent, des identités en constante mutation. C’est Henri Bergson qui prendrait vie sur la toile, la durée pure traduite en pigments et en huile. Chaque portrait est comme une couche géologique, révélant les strates du temps qui passe.

Les critiques qui la comparent à Lucian Freud ne voient qu’une partie de l’histoire. Oui, il y a cette même attention obsessionnelle au détail de la chair, mais Joffe va plus loin. Elle ne se contente pas de peindre ce qu’elle voit, elle peint ce qu’elle sait. C’est comme si elle combinait l’approche phénoménologique de Merleau-Ponty avec la brutalité émotionnelle d’une Frida Kahlo.

Son utilisation de la photographie comme source est également fascinante. Elle ne copie pas les photos, elle les dissèque, les réinterprète. C’est Walter Benjamin qui rencontrerait Francis Bacon : la reproduction mécanique transformée en quelque chose de profondément, viscéralement humain.

Et ne pensez pas une seconde que ses portraits de famille sont de simples exercices de nostalgie. Chaque tableau de sa mère, de sa fille, est une exploration des dynamiques de pouvoir, des liens qui nous unissent et nous étouffent parfois. C’est Michel Foucault qui se serait mis à la peinture figurative.

La façon dont elle traite l’espace est totalement inédit. Ses figures semblent souvent flotter dans un vide qui n’est pas vraiment vide, un espace chargé d’émotion et de tension. C’est Gaston Bachelard qui prendrait vie sur la toile, l’espace intime devenant un champ de bataille émotionnel.

Chantal Joffe navigue sans cesse entre le personnel et le politique. Chaque portrait est une déclaration, chaque coup de pinceau est un acte de résistance contre les normes établies. Elle fait ce que Judith Butler théorise : elle performe le genre à travers la peinture, mais d’une manière qui déconstruit plutôt que de renforcer les stéréotypes.

Chantal Joffe est l’artiste dont nous avons besoin en ce moment. Dans un monde obsédé par les apparences, elle nous force à regarder au-delà de la surface. Elle peint la vérité, même quand cette vérité est inconfortable. Et si ça vous met mal à l’aise, tant mieux. L’art n’est pas là pour vous bercer dans votre zone de confort.

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Référence(s)

Chantal JOFFE (1969)
Prénom : Chantal
Nom de famille : JOFFE
Genre : Femme
Nationalité(s) :

  • Royaume-Uni

Âge : 56 ans (2025)

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